dimanche 20 décembre 2009

Pourquoi l'antiberlusconisme ne fera pas tomber le Cavaliere

"Il me restera deux choses de ces journées : la haine de quelques-uns, l'amour de tant et tant d'Italiens" déclare jeudi Silvio Berlusconi en sortant de l'hôpital. Les images du visage ensanglanté du Président du Conseil ont choqué l'Italie. L'agresseur, un "déséquilibré", suivi depuis 10 ans pour des problèmes psychiatriques, a été tout de suite arrêté.

Si les leaders de l'opposition ont tout de suite condamné cette agression, ils n'oublient pas pour autant qui est Berlusconi. Marco Travaglio, journaliste pointé du doigt comme "ennemi communiste"par Berlusconi et son entourage, rappelle qu'on "ne devient pas quelqu'un de bien parce qu'on est victime d'un attentat", dans son programme hebdomadaire "Passa Parola", diffusé sur Youtube.
C'est également Internet et ses blogueurs qui étaient à l'initiative du "No Berlusconi Day" le 5 décembre, manifestation demandant la démission de Berlusconi. 450 000 manifestants, arborant la couleur violette, symbole de neutralité politique, s'étaient rassemblés à Rome.
 Une nouvelle forme d'opposition se mobilise : la société civile, devant l'immobilisme de la gauche.

Rappelons nous. Le 28 avril, La Repubblica, quotidien de gauche, révèle la présence du Cavaliere à la fête des 18 ans de Noemie Letizia et publie plus tard 10 questions au Président du Conseil. Le 3 mai, Veronica Lario, son épouse, demande le divorce. Sa réputation se ternit à nouveau avec la publication au Corriere della Sera du témoignage de Patrizia d'Addario, call girl.
Le 3 octobre, 100 000 personnes manifestent à Rome pour défendre la liberté de la presse. Berlusconi contrôle le duopole médiatique Mediaset-Rai, et plusieurs journaux. Le Conseil Constitutionnel, le 7 octobre, invalide la loi Alfano lui garantissant son immunité. Il devra répondre de ses actes dans le procès David Mills.

Pourtant, la popularité de Berlusconi n'a que faiblement baissé : moins 4 points selon un sondage Ipsos publié par La Stampa.


Silvio Berlusconi, un véritable leader politique
Il crée son parti, Forza Italia, fin 1993, profitant de la crise politique de 1992. Les enquêtes anti-corruption du Parquet de Milan ont entraîné la chute des deux grands partis de l'époque, la démocratie chrétienne et le parti socialiste. De nombreux chefs de partis sont en effet impliqués. En janvier 1994, son discours de la discesa séduit. Il se présente comme un homme neuf, extérieur aux années de la corruption politique, ayant fait ses preuves dans le monde de l'entreprise. La coalition de droite qu'il a mise en place avec l'Alliance Nationale et la Ligue du Nord lui apportent un réel soutien, et ce dès les élections de mars 1994. De la victoire de la gauche en 1996 à 2001, il se construit une véritable légitimité en tant que chef de l'opposition italienne. Il gagne les élections en 2001 et restera jusqu'en 2006, avant d'être réélu en 2008.
Berlusconi, ce n'est pas seulement la publicité, les médias, le côté charmeur. Il a bâti une véritable entreprise politique sur le territoire avec des élus locaux, des militants. Son programme économique a séduit. Son électorat est souvent perçu comme la ménagère de 40 ans scotchée à la télévision. Pourtant en plus des classes populaires, les commerçants, les jeunes cadres, les entrepreneurs le soutiennent.
L'erreur de la presse italienne, c'est d'avoir cru que la population réagirait en terme d'éthique publique. Elle oublie les autres logiques électorales : l'idéologie, ou l'appartenance à un groupe social.
Berlusconi a conquis une sorte d'hégémonie culturelle, mélangeant plusieurs valeurs contradictoires : le libéralisme et le protectionnisme, l'individualisme et la protection pour les plus démunis, des valeurs chrétiennes et des moeurs privés plus libertaires, un discours proeuropéen mais défendant les intérêts nationaux, de la bienveillance  l'égard des gens du Sud et un discours populiste pour satisfaire les Nordistes...
Son emprise sur ce bloc social se consolide par le vide de la gauche.

La gauche toujours dans une impasse
Sans projet, sans identité, sans leader, le Partito democratico (PD) ne sait quelle stratégie mener. Ce parti dérive d'une coalition entre le Parti communiste, des petites forces progressistes laïques, et une partie de la démocratie chrétienne, formée dans les années 1990. L'expérience montre que cette forte hétérogénéité rend la coalition ingouvernable.
Par ailleurs, on reproche au PD son "jeu de miroir" avec l'actuel parti de Berlusconi, il Popolo Della Libertà. Le premier désigne le second comme son opposant, et vice-versa. Ils ont besoin l'un de l'autre.

L'antiberlusconisme ne fera pas tomber le Cavaliere
"On a créé un parti des juges", dénonçait Silvio Berlusconi, lors du Congrès du Parti Populaire Européen, le 10 décembre à Bonn. Le discours du Président du Conseil avait mis l'Italie mal à l'aise jusque dans les rangs de son gouvernement. En s'attaquant aux juges, à la Cour Constitutionnelle, et même au Président de la République, il a délégitimé les institutions du régime qu'il gouverne.
L'antiberlusconisme dénonce cette "anomalie". Le No Berlusconi Day témoigne de l'exaspération de la jeunesse italienne, inquiète de son futur. L'utilisation inédite d'Internet pour organiser cette manifestation montre qu'une part de la société est prête à faire basculer l'hégémonie de la TV vers un autre média plus libre.
Beaucoup sont séduits par le phénomène Di Pietro et son parti Italia Dei Valori, principalement antiberlusconiste. La création en septembre dernier du quotidien Il Fatto, contre Berlusconi, prouve que la presse n'a pas dit son dernier mot.
Mais une partie de la gauche officielle est contre le discours uniquement antiberlusconien. D'où le refus du PD de participer à la manifestation du 5 décembre. Cette mobilisation de la société n'a pas de débouchés politiques.

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