samedi 8 mai 2010

Voulez-vous échanger avec moi ce soir ?


À nouveau, voici un article publié sur http://www.2h27.fr
Blog créé avec 8 autres étudiants de l'École de Journalisme de Sciences-po.


Quand on pousse la porte du Mooncity, on a l'impression de débarquer en Inde. Une Inde qui n'a oublié aucune des soixante-quatre positions du Kamasutra. Avec ses statues de Krishna et de Vishnu, Mooncity est l'un des clubs échangistes les plus réputés de la capitale. Inutile de préciser qu'il s'y passe de drôles de choses la nuit...

Minuit. Nous arrivons à Pigalle. Boulevard Clichy, les enseignes aux lettres rouges donnent le ton : Peep Shows, Strip Tease, Sex Shops... et les vitrines abondent en mannequins dénudés aux postures coquines.
Dans cette jungle du sexe, un éléphant nous observe. Avec ses huit pattes d’un gris acier, il surplombe une porte d’entrée en bois massif : celle du Mooncity. Le jour-même, on nous en avait parlé : femmes nues, bains fumants, hommes aux aguets… le Mooncity est ce qu’on appelle un sauna "libertin".
Intriguées, nous nous rapprochons du repaire de l'éléphant. Quand soudain, une voix nous interpelle :
"Vous cherchez quelque chose, mesdemoiselles ? "
Sursaut des demoiselles en question. Un beau brun nous regarde, l’air sévère. C’est Olivier, le gérant du Mooncity. Nos sourires ne suffisent pas. Pour les journalistes non-libertines, il faudra repasser et même prendre un rendez-vous pour la semaine prochaine.
Un couple descend les escaliers nonchalamment et rend les clés de leur vestiaire à Olivier. Dont le visage se déride aussitôt :
"- Vous partez déjà ? "
"- Ah oui, ce soir, ce n’était pas top la clientèle. Les ours poilus, très peu pour nous ! " , lance la femme, l'air désappointé.
Avec sa chevelure blonde platine et ses yeux lourdement fardés, elle est un étrange mélange de distinction et de vulgarité. Son mari/amant/compagnon libertin se tient auprès d’elle. Plutôt vieux beau, vieux beauf, il tente d’apaiser le débat devant la grimace d’Olivier :
"Mais chérie, c'est quand même un très bon endroit pour se relaxer*, c’est si clean… Et d’habitude, les gens sont bien choisis par notre Olivier. "

Satisfaire tout le monde, c’est le défi que doit relever Olivier chaque soir. Devant la porte du Mooncity, il joue aux physionomistes :
" Sauf que je ne fais pas de discrimination sur le physique, moi. Il y a des clubs échangistes à Paris qui ne laissent entrer que les Beaux. Moi, je prends aussi les Moches. Ou les Gros. Cette nuit, il y a aussi des femmes rondes. Il faut en avoir pour tous les goûts. "
Et en effet, quand nous pénétrons dans l’antre tantrique - dûment autorisées par le maître des lieux - les silhouettes et les profils sont des plus variés. Accoudée au bar, une langoureuse noire arbore fièrement sa poitrine généreuse. Son compagnon, lui, tente de dissimuler une toute aussi généreuse brioche. Autour d'eux gravitent d'autres corps nus, parfois masqués par un paréo ou une serviette de bain.
Claire, la serveuse, regarde d'un air blasé ce spectacle nudiste. Jean-baskets, décolleté modeste et queue de cheval, elle est là "pour travailler, pas pour en profiter ". Et surtout, elle ne quitte jamais le bar. Pas question de monter à l'étage,  où se trouvent les "coins coquins". Dans ces chambres, parfois privées, parfois ouvertes à tous, les clients assouvissent leurs ardeurs... souvent illégitimes.


Photos du site http://www.mooncity.fr/

"Ici, les hommes viennent souvent retrouver leurs maîtresses. Ça coûte moins cher que l'hôtel et c'est bien plus excitant !
On voit très peu d'hommes seuls ", raconte Claire.
D'ailleurs, les seuls étalons solitaires qu'Olivier accepte au Mooncity, ce sont les habitués, et encore.
"On essaie de ne pas avoir plus de deux hommes seuls par soirée.  Le risque avec eux, c'est qu'ils n'arrivent plus à se contrôler et deviennent trop insistants avec les femmes."
Et de ce pas, il part effectuer une de ses nombreuses rondes de nuit. Surprise, il ne revient pas en tenant par l'oreille un homme tout penaud, mais en portant avec précaution une pipette et un flacon.
"C'est un échantillon de l'eau du jacuzzi. Je vérifie l'acidité. Je vais encore devoir la changer, je crois que certains ont fait les malins dedans..."

Sur le panneau : "L'eau est froide ? Remerciez vos voisins ayant des rapports sexuels dans l'eau... Rapports sexuels = nettoyage = eau froide !!!"

Les derniers clients sortent du jacuzzi. Et confirment : "Elle est froide, l'eau !", râle une femme potelée. Mais peu importe, c'est déjà l'heure de partir. Depuis quelques mois, la préfecture de Paris oblige Olivier à mettre fin aux réjouissances dès 2H30 du matin, le temps d'installer un accès pour les handicapés libertins.
"Mais d'ici quelques jours, on restera ouvert jusqu'à 4h. Les travaux sont finis." assure Olivier.
Derrière le bar, Claire soupire :
"4h du mat'... Je n'ai pas du tout hâte."
Car pour Claire et Olivier, difficile d'avoir une vie en dehors du Mooncity. Petit-déjeuner à 17H, dîner à 6H du matin... 2H27, c'est l'heure de l'apéro afterwork avec les collègues. Mais ce décalage, ce n'est pas le plus compliqué à gérer :
"Quand je rencontre quelqu'un, explique Claire, c'est la fameuse question "Tu fais quoi dans la vie ?" que je redoute le plus. Dès que je parle de mon boulot ici, on me colle l'étiquette "cul" sur la tête... Alors que je ne fais que servir des verres aux clients, et toujours habillée en plus !"
"Gérant d'un club échangiste, ça passe très mal auprès des filles", constate Olivier, l'air désabusé.
Mais l'heure tourne, il est bientôt trois heures du matin. Le Mooncity est vide, les statues indiennes retrouvent la tranquillité. Dans le hammam, le grand Bouddha flotte encore dans un halo de vapeur, qui ne tardera pas à se dissiper. Olivier fait un dernier tour des coins coquins afin de vérifier qu'aucun couple n'essaie d'y passer le reste de la nuit... cette fois-ci en toute intimité.


PARLEZ-VOUS LIBERTIN ?
Nudisme : idéologie que se doit de suivre chaque Mooncitizen. Tout habit est interdit, sauf le traditionnel petit capuchon de caoutchouc.
Préservatif : accessoire obligatoire et distribué à volonté dès l'entrée au Mooncity. "C'est pour que je puisse dormir tranquille", dixit Olivier.

Pagne : paréo ou serviette qu'ont bien voulu nouer autour de leur taille les clients de Mooncity devant nos yeux effarouchés. Et qu'ils délaissent sitôt l'espace bar franchi.
Se relaxer : pour ce faire, prenez une coupe de champagne, un jacuzzi froid, un sauna torride. Ajoutez des oeillades indiscrètes par les fenêtres des chambres coquines. Mélangez le tout, parmi d'autres corps relaxés.


TYPOLOGIE DES LIBERTINS
La Femme Seule : âgée de 25 à 55 ans, elle observe, glousse, et représente 30% de la clientèle de Mooncity. "Elle est souvent là par hasard. Ce qu'elle recherche, c'est surtout de nouvelles expériences ou un peu de danger. Mais souvent, elle se contente de regarder", remarque Olivier, qui cherche à les attirer avec un tarif préférentiel de 12 euros la nuit.
L'Homme Seul : véritable prédateur pour la Femme Seule, c'est avant tout un habitué, prêt à payer 98 euros pour une nuit de débauche. "Certains viennent même plusieurs fois par semaine !", s'étonne Claire.
Couple Libertin : âgés entre 40 et 60 ans, ils ont pour devise "Plus on est de fous, plus on rit" et l'adultère comme philosophie. Ils représentent la majeure partie de la clientèle de Mooncity.
Couple Qui Se Croit Libertin Mais Qui Ne l'Est Pas (CQSCLMQNEP) : Le cap des trente ans passés, leur vie sexuelle commence à s'étioler. lls sont à la recherche d'un endroit insolite pour la pimenter. Mais une fois confrontés au sexe communiste et participatif, leur instinct possessif se réveille. Ainsi, R. qui vient de passer sa première nuit au Mooncityavec sa chère et tendre , explose de colère : "Le premier qui touche à ma femme, je le cogne." Charmant.
Anaïs  et Bénédicte